Le photographe Mexicain Enrique Villasenor a été un grand aficionado et maintenant il est abolitionniste, ou comme il préfère évolutionniste : « J’en suis arrivé à un moment de ma vie où je ressens plus la douleur d’un animal qui souffre que le plaisir que j’ai pu avoir ».
Entre 1933 et 1994 Villasenor a réalisé dans les célèbres arènes de Mexico un essai en photographie intitulé « Toute la vie et toute la mort ». Selon ses mots « une évocation de la fête du courage à la limite de l’art, de la beauté, de la culture et de la barbarie.
Nous publions quelques photos de cette série et une interview de son auteur. Nous mettons en valeur la possibilité d’évoluer depuis la culture d’origine reçue vers l’honnêteté de la remise en question.
Enrique Villasenor est un photographe, journaliste et architecte Mexicain. Il a été président du Conseil.
Mexicain de la photographie. Il a fondé et développé l’exposition bisannuelle de photo-journalisme à Mexico, qui a déjà connu six éditions. Il est le promoteur du forum ibéro-américain de photographie, dont il a été le directeur académique. Comme représentant du SELA (Système Economique Latino-américain et caribéen) il a réalisé des reportages et des documentaires sur toute l’ Amérique latine. Il a également participé à des expositions individuelles et collectives sur les cinq continents, et a représenté le Mexique dans de prestigieux concours internationaux de photographie. Il prépare actuellement une série de publications multimédia sur la photographie, l’architecture et le multimédia avec l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM)
Pourquoi votre essai photographique Toute la vie, toute la mort ?
– La photographie est avant tout un moyen de communication. Elle communique ce que tu vis. Je ne peux concevoir de photographe dont la photographie est séparée de sa vie. Quand c’est ainsi il s’agit d’une photographie non aboutie, qui s’est arrêtée à mi chemin , car c’est ce que tu es qui se connecte avec le public. J’ai toujours considéré la tauromachie comme l’expression d’une culture, d’un art, d’un témoignage de ce qu’est la société dans l’histoire.
Au delà des couleurs, de la musique, ces images m’ont donné beaucoup de plaisir.
Allez-vous toujours aux corridas ?
– Non, je n’y vais plus.
Pourquoi ?
– Parce que je suis arrivé à un moment de ma vie où je ressens plus la douleur d’un animal qui souffre que le plaisir que j’ai pu avoir.
Parlez-moi de ce plaisir…
– C’est un mélange d’éléments qui donne un résultat esthétique et émotionnel. J’ai profité de ces contradictions : la beauté et la cruauté, la culture et la barbarie, tant et si bien que dans mon adolescence j’ai voulu être torero. Je n’y suis jamais arrivé.
J’ai toréé des vachettes et cela n’a pas été une source de plaisir. Cela a constitué une étape où j’ai senti que la tauromachie était pour moi liée à un rêve qui m’a amené à bénéficier d’une série de valeurs esthétiques : la danse, la musique, la poésie, la peinture. Il y a aussi un lien entre l’histoire et les conflits sociaux : A l’époque de l’Espagne franquiste par exemple la corrida servait à calmer la violence du moment, d’une certaine manière.
Avec les corridas canalise-t-on une violence qui, si non, pourrait se tourner contre les humains ?
– Je en sais pas. J’ai beaucoup pensé à la violence naturelle de l’homme. D’une façon ou d’une autre l’enfant est violent dans son innocence. Il dépasse peu à peu cette violence que nous, adultes, transformons en une pensée plus rationnelle. A un moment j’ai pensé que la tauromachie pouvait exprimer ces impulsions naturelles, mais j’ai des doutes.
Que pensez-vous des enfants qui assistent à ce spectacle ?
– Ce n’est pas un spectacle pour enfants. On ne doit pas inciter un enfant à y aller.
Seriez-vous pour l’interdiction de l’entrée des mineurs aux arènes ?
– Oui, je suis d’accord qu’ils n’y assistent pas, bien sûr. Donc s’il faut qu’on l’interdise, qu’on le fasse.
Que pensez-vous des écoles taurines où très jeunes des enfants apprennent à toréer des animaux aussi très jeunes ?
– Je crois que les écoles taurines frisent le ridicule . Il est impossible qu’un enfant puisse comprendre la tauromachie, qui ne se résume pas à prendre sa petite cape et faire un petit tour. La tauromachie est liée à ce qui se passe dans ton milieu, dans ton pays, dans ta famille. L’enfant est forcé à faire quelque chose à quoi il n’est pas préparé. Cela me paraît une aberration.
Si on n’apprend pas à toréer enfant est-il possible d’apprendre à l’âge adulte ?
– Bien sûr. Mais si cela change, si cela évolue, les enfants ne voudront plus faire cela, ils feront d’autres choses : de la musique, de la peinture… Mettre en évidence la conscience évolutionniste envers ces enfants est une bonne chose. Car nous les adultes nous sommes déjà empoisonnés comme disent les aficionados : je ne pourrai jamais plus faire des cabrioles et sentir le plaisir du combat avec le taureau à travers ces « revoleras » (passes à une main), « medias veronicas » (passes à deux mains pour faire changer le taureau de place). Je mourrai avec cela, je me fais à l’idée que je devrai renoncer à cela. C’est comme l’idée que je ne peux pas manger de crevettes, même si je les adore, parce qu’elles me donnent des allergies
Que croyez-vous que nous devons faire maintenant ?
– La situation du monde est en train de changer. Mon pays par exemple est en train d’être détruit par la violence. Dans la « fiesta brava » comme dans d’autres aspects de la culture mexicaine (les combats de coqs, les combats de chiens) il existe une grande violence. Et je crois que c’est le moment d’en terminer avec toutes ces manifestations de violence, quelles qu’elles soient.
Doit-on interdire les corridas ?
– Oui, mais il ne s’agit pas de rompre. On ne devrait pas considérer cela comme une disparition, mais comme une évolution. C’est pourquoi je ne dis pas abolitionniste mais évolutionniste. Comment ? Avec l’interdiction, car les choses évoluent à travers les lois.
Croyez-vous que la tauromachie du XXIème siècle soit une tauromachie de musée, qu’elle doive rester dans les musées ?
– C’est une possibilité pour cette évolution. J’imagine une tauromachie virtuelle, digitale, ou peut être représentée. La tauromachie de salon (avec un taureau imaginaire) est très belle. Moi qui n’ai plus ni la taille, la prestance ou l’allure d’un picador je me mets à combattre avec un taureau imaginaire et j’en profite. Je crois qu’au Portugal on leur met des petits coussins au garrot pour leur planter des banderilles. Mais la base de la tauromachie se perd car elle est liée à ce rythme, à ces étapes des banderilles, du picador.
Si on éliminait les banderilles ou le picador, le taureau ne s’affaiblirait pas et ne serait pas si vulnérable.
– Toréer serait alors impossible.
Savez-vous ce qui est en train de se passer en Espagne avec le gouvernement actuel qui encourage et exalte la tauromachie à travers des lois, des mesures de protection et des subventions ? Ils vont jusqu’à envisager que l’UNESCO puisse déclarer la tauromachie comme Patrimoine Immatériel de l’Humanité.
– Il y a 2 facettes. On peut comprendre comment à partir d’une analyse professionnelle, de la signification historique parce que l’Histoire est un patrimoine (si tu écoutes un poème de Gabriela Ortega sur la mort de Manolete, c’est un patrimoine historique évidemment). Mais si tu le fais pour attirer les touristes ça devient un outil économique qui n’a plus de sens. Je ne connais pas les détails, mais je peux supposer que la motivation du gouvernement espagnol est liée en grande partie au patrimoine économique que détient ce monde de la corrida. Que se passerait-il en Espagne s’il n’y avait pas de corridas ? Où emmènerait – on les touristes ?
Il y a des gens qui paient une cotisation pour protéger les baleines, les pandas… Ces gens deviendraient-ils fondateurs d’un sanctuaire de taureaux de combat ?
– Oui, bien sûr. Mais les éleveurs devront-ils élever et faire se reproduire les taureaux de combat de la célèbre race « miuras » pour que les touristes puissent les voir ?
Vous n’iriez pas voir des taureaux dans les pâturages s’il s’agissait d’espaces protégés ?
– Si. Ce sont de très beaux endroits. Mais je n’irai jamais plus voir des taureaux dans des manifestations taurines. Le taureau de combat est un animal construit artificiellement par l’homme pour finir son existence dans les arènes. Son comportement doit être très différent de celui qu’il devrait avoir naturellement dans les pâturages. Ce comportement est impressionnant.
C’est le comportement de quelqu’un que l’on provoque violemment ?
– Oui, évidemment.
Croyez-vous que cette violence de la tauromachie vienne d’une visions du monde machiste ?
Je connais le monde taurin et le machisme et l’ignorance sont ses principales caractéristiques. Il y a énormément d’ignorance. Il y a très peu d’analyse, et de la superstition à outrance. Mais on ne peut pas juger sans savoir car dans le peuple il y a beaucoup d’ignorance également, mais aussi beaucoup de sagesse. Le paysan n’a pas besoin d’aller à l’université pour être sage. « Je t’achèterai une maison quand j’aurai réussi » disait El Cordobés à sa mère, ou, « tu porteras le deuil pour moi ». C’est quelque chose de profond et de très intense.
Le titre de mon essai photographique « Toute la vie, toute la mort », est une phrase de Louis Spota, auteur du roman « La faim donne plus de coups de cornes », qui raconte l’histoire d’un piètre torero.
Les chevaux sont les grands oubliés de la douleur de la tauromachie. Nous nous référons toujours à la souffrance des taureaux. Est-ce la raison pour laquelle vous aviez voulu photographier des chevaux ?
– Non. J’étais un journaliste graphique, je rédigeais des nouvelles sur la « fiesta brava » et j’ai essayé de faire un essai visuel. Je n’avais même pas les noms des toreros, je ne m’en suis jamais inquiété. C’est un très long essai comportant des milliers de photos. Les essais sont des travaux qui demandent beaucoup de temps à penser, méditer, planifier, comme celui que j’ai réalisé sur la paralysie cérébrale, qui m’a pris quinze ans de préparation. Par contre c’est l’essai sur les chevaux qui a été le plus court. Il ne m’a pris que quinze à vingt minutes. J’étais dans les arènes quand j’ai vu qu’on arrosait ces chevaux avec une lance à incendie dans une cour intérieure et on leur jetait de l’eau et de grosses gouttes leur tombaient dessus. Le soleil les illuminait d’une telle façon que je pensais que c’était merveilleux. J’ai oublié les taureaux, la corrida, j’ai oublié les chevaux et j’ai tout oublié. Ce qui était merveilleux c’était les gouttes d’eau et le soleil.
Pourquoi vos photos sont-elles en noir et blanc ?
– Tout mon essai sur les corridas est en noir et blanc, car le noir et blanc est une forme de communication qui n’apporte pas la distraction que procure la couleur. Il semble que la couleur soit très importante mais je profite de la beauté du noir et blanc. Je vois depuis le début les photos en couleur ou en noir et blanc. Maintenant avec le numérique on peut faire une photo couleur et la passer ensuite en noir et blanc, mais on doit l’avoir vue en noir et blanc.
C’est curieux car avec le noir et blanc on ne voit ni les couleurs de l’habit de lumière ni le sang du taureau…
– Non, mais on voit l’essentiel : le soleil et l’ombre, la lumière et l’obscurité, la beauté et l’horreur. Si je vois les couleurs de la cape, qui sont très belles, je me laisse distraire et ne vois pas ces contrastes.
Croyez-vous que le moment est venu où les aficionados et anti-corridas puissent s’assoir ensemble et parler de façon raisonnable ? Est-ce que cela servirait à quelque chose ? Il y a deux camps, et il y a une guerre.
– On doit partir d’un rapport commun. Chacun de son côté a des armes très puissantes contre l’ennemi mais on ne va pas en arriver à une quelconque conclusion car l’arme la plus puissante est l’économie. On ne va pas changer les choses par idéologie. Difficile aussi de trouver une conciliation. Si nous recherchions le dialogue, cela serait très productif dans le domaine social, idéologique et émotionnel. Mais à partir du moment où les camps ne sont plus d’accord et qu’un d’entre eux commence à perdre de l’argent, l’accord est terminé. Le problème est que les intérêts économiques sont plus forts que les intérêts idéologiques.
Quelle est la situation de la tauromachie au Mexique ?
– Les groupes de pouvoir sont en train de faire plus pour la disparition de la « fiesta brava » (la corrida) que les évolutionnistes. Avec la commercialisation et la corruption, Herrerias (Rafael Herrerias Olea, directeur des Arènes Monumentales de Mexico depuis 1992) est en train de blesser à mort la tauromachie. Seuls ces groupes vont mourir.
En Espagne la tauromachie vit des subventions et les plus grands cas de corruption sont liés de façon plus ou moins importante au commerce de la corrida : Malaya, Gurtel.
– Si nous faisions des recherches sur l’économie de la corrida, nous aurions de grandes surprises sur la provenance de son argent. Personne ne peut expliquer comment il est possible de garder cette armée d’employés dans les Arènes de Mexico, qui sont vides car les affiches ne donnent pas envie d’y aller. L’aspect économique est un point d’analyse important pour l’évolution. Economiquement parlant les pro corrida sont très puissants. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de fermer les arènes aux enfants. C’est une nécessité et une stratégie : interdire l’accès aux mineurs.
Comment votre entourage vit-t-il votre évolution personnelle ?
Je reçois des attaques très violentes. Certains de mes amis taurins me disent que je suis en train d’adopter une position pratique, politiquement correcte, dans un lieu où je n’ai pas de problèmes.
Cependant je suis en train d’ouvrir une voie car d’autres amis , y compris des photographes taurins, me donnent raison et me disent qu’ils ressentent la même chose concernant la souffrance des animaux. La tauromachie est une source d’inspiration, une source de jouissance, de plaisir. Mais aussi, sans doute, une source de douleur. Le dilemme se trouve dans l’union de l’esthétique et de l’éthique : si au mot esthétique on enlève quelque lettres ce mot devient éthique ; et au contraire si on ajoute quelques lettres à éthique on obtient simplement esthétique.
ne le blamons pas ! c est un repenti qui a ouvert les yeux derriere son objectif ! tres interessant témoignage merci !
comment peut on employer des mots tels qu esthetique en filmant la torture?c est delirant et consternant!