Nous ne pensions pas reparler de sitôt des talents de gestionnaire de Robert Margé. À vrai dire, comme indiqué dans l’article consacré aux comptes 2017 de la SAS du Plateau de Valras, nous imaginions plutôt annoncer son enterrement au vu du passif énorme qui ne peut déboucher que sur un état de cessation de paiement si la société devait compter uniquement sur sa rentabilité. Mais le monde de la torturomachie est vraiment à part et il réserve bien des surprises, y compris, comme nous l’avons constaté à maintes reprises, en matière comptable et fiscale.

Changement de date de clôture

Qu’est-ce qui nous amène si vite à parler des comptes 2018 de la société de Robert Margé ? Tout simplement le fait que ce dernier a décidé de modifier la date de clôture de sa structure. Initialement fixée au 31 décembre, cette date a été ramenée au 31 août, ce qui s’est traduit en 2018 par le dépôt de comptes relatifs à un exercice de huit mois. Opération parfaitement légale, contrairement à la rétention de TVA…

Pourquoi une telle décision ? Pour que la clôture de l’exercice se réalise le même mois que la féria de la ville durant laquelle Robert Margé réalise la quasi-intégralité de ses recettes grâce aux séances de torture qu’il y propose ? Ou alors, afin de présenter un bilan moins calamiteux à son mandataire judiciaire que s’il s’était clôturé à la date habituelle, les quatre derniers mois de l’année civile étant synonymes de recettes quasi-inexistantes face à des charges forcément nettement supérieures ?

Seul Robert Margé le sait. De notre côté, contentons-nous d’analyser les derniers comptes déposés.

Bénéfice record qu’il faut dissimuler

Lorsque nous prenons connaissance des comptes 2018, nous sommes plutôt surpris : la SAS du Plateau de Valras a été capable de dégager un bénéfice de 135 754 € sur cet exercice de huit mois. Qu’est-ce qui explique ce niveau de bénéfice jamais atteint depuis longtemps ? Rappelons que celui de 2017 s’était établi à 21 854 € et en 2015 à 32 969 €. Quant aux années 2014 et 2016, elles avaient été marquées par deux bouillons financiers de -345 580 € et -446 455 €. Une hausse substantielle des recettes aux guichets ? Pas du tout. Le chiffre d’affaires affiché s’élève à 1 308 684 €. Comparé à l’année précédente, il est en baisse de 161 056 € (-12,3 %).

Certains argueront que l’exercice 2018 n’a duré que huit mois. Mais comme indiqué précédemment, en dehors de la semaine de féria du mois d’août, il ne se passe rien en dehors de quelques galas taurins où, dans une arène d’une capacité de 13 000 places, quelques dizaines de désœuvrés, souvent entrés gratuitement, viennent reluquer un bovin se vider de son sang sous les coups d’épée d’un sadique en paillettes. Nos amis militants locaux s’y sont rendus à plusieurs reprises pour le constater.

 

Il faut donc chercher l’origine de cette embellie comptable ailleurs. À part qu’il n’est pas possible de le faire car Robert Margé a, comme l’année précédente, pris soin de ne pas déposer au greffe le compte de résultat de l’exercice et a ordonné à son commissaire aux comptes d’en faire de même. Ce dernier l’écrit noir sur blanc dans son rapport : « En raison d’une clause de confidentialité signée par le Président de votre société, le présent exemplaire de notre rapport sur les comptes annuels est uniquement destiné aux fins de publication et ne comprend que le bilan. »

Une tradition ininterrompue des entrepreneurs aficionados : clamer partout que la corrida est une activité rentable et indispensable pour le tissu économique local et, dès lors qu’il existe des chiffres qui attestent ces arguments, les dissimuler par tous les moyens.

Pourquoi une telle attitude ? Ces chiffres contiendraient-ils des éléments susceptibles de choquer l’opinion publique ? Des pratiques pas très réglementaires d’un point de vue fiscal ? Des détails remettant totalement en cause le bien-fondé du résultat affiché ?

Quoi qu’il en soit, nous nous limiterons au seul bilan de la société qui, lui aussi, pose question.

Une trésorerie qui explose

Au 31/12/2017, la SAS du Plateau de Valras affichait une trésorerie de 492 409 €. Huit mois plus tard, cette trésorerie atteint 843 463 €, soit une augmentation de 351 054 €. Qu’est-ce qui peut expliquer une telle variation ? Essentiellement deux éléments. Le premier, compréhensible par tout un chacun, est le fait que la société réalise du bénéfice qui se traduit en cash. Le second, un peu plus technique, est que toute entreprise peut voir sa trésorerie augmenter ou diminuer indépendamment du résultat réalisé au cours de l’année. En effet, elle dispose de créances sur ses clients et de dettes envers ses fournisseurs, les organismes sociaux, l’administration fiscale, etc.

Plus ses clients vont la régler rapidement, plus la trésorerie va varier positivement (et inversement). Parallèlement, plus elle va tarder à régler ses dettes, moins vite le cash sortira de son compte en banque (et vice-versa). La combinaison de ces deux paramètres peut donc amener, à résultat égal, à des situations de trésorerie totalement différentes.

Qu’en est-il pour Robert Margé ? Si nous comparons les exercices 2017 et 2018 :

  • les créances sur les clients ont augmenté de 168 983 €
  • les dettes envers les tiers ont augmenté de 366 285 €.

Selon ce que nous venons d’exposer, cela signifie donc que les clients ont réglé leurs dus moins vite à hauteur de 168 983 € (donc une rentrée de trésorerie moindre pour la société) alors que dans le même temps, les fournisseurs ont été payés moins rapidement à hauteur de 366 285 € (donc une sortie de trésorerie moindre de même montant).

Globalement, par différentiel, la trésorerie a donc pu s’embellir de 197 302 € grâce au jeu des délais de règlements des créances et dettes. Sur les 351 054 € d’augmentation de la trésorerie susmentionnée, il reste donc 153 752 € qui s’explique uniquement par l’activité de l’entreprise au cours des huit mois d’activité.

Il existe donc bien des recettes autres que le chiffre d’affaires habituel et/ou des économies de charges qui sont intervenues durant l’exercice 2018. Quelle est la nature exacte de ces éléments ? Subventions publiques ? Ristourne sur la location des arènes ? Nous l’ignorons, mais une chose est sûre : Robert Margé a estimé qu’il fallait absolument la dissimuler.

Décidément, dans le monde de l’aficion, l’exubérance n’est de mise que devant un taureau supplicié et au bord de l’agonie.

David Joly
Trésorier FLAC et No Corrida