Depuis que le monde de l’aficion a appris le prochain débat parlementaire sur l’abolition de la corrida suite au dépôt et à la mise à l’ordre du jour d’une proposition de loi initiée par Aymeric Caron et la France insoumise, c’est la panique générale dans les rangs et le branle-bas de combat pour mettre en place une contre-offensive. Sauf que les aficionados mentent sur à peu près tout.
Nous avons dans un premier temps eu droit aux arguments de la sempiternelle tradition et culture locale (comme si le fait de transpercer et de lacérer un bovin jusqu’à ce que mort s’en suive était un signe d’intelligence quelconque) partagées par tout un chacun au sein des départements où la corrida est légalement dépénalisée. Ce que des sondages indépendants et aux méthodes rigoureuses ont plusieurs fois démonté ces dernières années.
À présent, place aux arguments financiers : la corrida serait le moteur économique du sud de la France et, à lire l’article du Midi libre du 17 septembre dernier, sa disparition serait un véritable cataclysme qui n’aurait rien à envier au krach boursier de 1929.
À part que, pour convaincre les lecteurs ou s’auto-rassurer, l’auteur de l’article et ses interlocuteurs enchaînent les imprécisions, les absurdités et les contre-vérités qu’ils mettent d’ailleurs eux-mêmes en lumière au sein dudit article.
Premier argument pour démontrer que la corrida pèse lourd d’un point de vue économique : les acteurs de la filière s’accordent autour d’un montant de 40 millions d’euros pour estimer le chiffre d’affaires du business de la seule tauromachie espagnole. Ce montant ne découle pas d’institutions financières ayant analysé le secteur avec rigueur et impartialité. Non, il provient des premiers intéressés que l’on est prié de croire sur parole. Comme si ce petit monde n’était pas capable de mentir pour cacher la réalité de la santé financière de leur plaisir morbide.
Pour autant, partons du principe que ce montant de 40 millions d’euros est avéré. Comme l’indique l’article, il s’agit du chiffre d’affaires du secteur. D’un point de vue économique, le chiffre d’affaires correspond uniquement aux ventes et à rien d’autre. Vous pouvez avoir le chiffre d’affaires que vous voulez, il peut même se monter à plusieurs dizaines de milliards d’euros, à partir du moment où vos dépenses lui sont supérieures, votre activité sera au final déficitaire.
Il aurait donc été plus judicieux d’évoquer non pas le chiffre d’affaires mais le bénéfice éventuel du secteur. Et c’est là que le bât blesse. Parce que ledit secteur n’est à aucun moment rentable et nombre de structures tauromachiques, qu’il s’agisse de sociétés commerciales ou d’associations, enchaînent les pertes abyssales à tel point que des élus locaux utilisent leurs mandats afin d’injecter de l’argent public à coups de millions d’euros afin de les sauver de leur naufrage financier, à l’image de ce qui se pratique à Bayonne.
Second argument avancé : les ferias n’existeraient pas sans les corridas. Selon Frédéric Pastor, adjoint aux festivités et à la tauromachie de la mairie de Nîmes : « le point de départ d’une feria, le faisceau, c’est la corrida. Sinon, cela s’appelle une kermesse. »
En quoi un individu peut-il décider à lui seul qu’une feria ne peut être appelée comme telle que si des spectacles sanglants se tiennent dans le même temps au sein des arènes locales ? Pour tout dire, on peut ici s’avancer sans trop prendre de risque que peu importe le nom donné à ces rassemblements festifs : ferias, kermesses, foires, fêtes communales, ducasses… L’objectif des participants est de se retrouver, passer un bon moment, faire la fête. À aucun moment ils ne vont être refroidis et rester chez eux parce que l’évènement auquel ils ont prévu de se rendre ne s’appelle plus feria. Encore moins s’ils savent que des séances de torture ne s’y tiennent pas.
Preuve en est avec l’exemple de Carcassonne en 2018. À l’époque, le niveau de compétence des branquignols à la tête du club taurin local avait débouché sur l’impossibilité de la tenue des habituelles corridas durant la feria locale. Résultat : il n’y a jamais eu autant de participants, au plus grand bonheur des commerçants.
Car le vrai chiffre d’affaires qui débouche sur du bénéfice, il ne se trouve pas au sein des arènes mais en dehors : dans les rues et au sein des commerces de la ville qui organise une feria. Le même Pastor le reconnaît lui-même : « En termes de retombées économiques, une saison de ferias, c’est 60 millions d’euros de retombées économiques (sic) pour la ville de Nîmes, entre une hôtellerie pleine à craquer à cent kilomètres à la ronde, l’activité des entreprises de services, la restauration, l’évènementiel, etc. »
Et ces retombées économiques ne sont dues à aucun moment au monde de l’aficion car, comme le souligne encore et toujours Pastor pour Nîmes, la feria de la Pentecôte, c’est 1,2 million de visiteurs et à peine 50 000 spectateurs dans les gradins. Il faut donc qu’il nous explique comment une feria s’écroulerait économiquement avec la seule présence des 1 150 000 personnes qui s’y rendent sans aller admirer l’une des séances de torture proposées.
D’autant que notre expérience de terrain, lors de nos actions et manifestations pacifiques aux abords des arènes, nous a amenés plus d’une fois à faire le même constat, que ce soit à Nîmes, Arles, Alès ou ailleurs : les amateurs de torture arrivent aux arènes quelques instants avant le début du spectacle sanglant et en repartent illico presto, ne participant à aucun moment à la vie économique de la feria qui se déroule juste à côté.
Alors, une bonne fois pour toutes : oui, les ferias peuvent avoir lieu sans corrida. Oui, les ferias sont essentielles au tissu économique local. Et oui, les militants adversaires de la torture tauromachique que nous sommes plaidons mille fois en faveur de ces ferias sans effusion de sang.
Et non, les corridas ne rapportent pas d’argent. Sans quoi elles n’auraient pas besoin d’être ultra-subventionnées. Et leurs organisateurs n’auraient pas besoin de s’adonner à des pratiques de fraude fiscale pour équilibrer leurs comptes.
Enfin, au risque de nous répéter, il nous semble important de dénoncer à nouveau des mensonges frontaux colportés encore ces derniers jours par André Viard et d’autres lobbyistes procorrida : non, la corrida n’est plus inscrite au Patrimoine Culturel de la France depuis de nombreuses années (radiation confirmée en cassation en 2016, il va falloir que Viard finisse par s’y faire) et non, la corrida n’a jamais été protégée par la Convention de 2005 de l’Unesco sur la Protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, puisque la corrida est contraire à toutes les valeurs humanistes de l’Unesco.
David Joly
Trésorier de No Corrida et de la FLAC