La propagande des taurins – incapables de défendre la tauromachie sur le fond – s’oriente surtout sur des querelles et des attaques sur la forme… Et des digressions, notamment sur le caractère « violent » des manifestations et actions militantes anti-corrida. Un comble pour une lutte ancrée dans la défense des valeurs du respect du vivant, contre le sadisme mortifère de la tauromachie !

 

Et non seulement les opposants à la torture animale se voient montrés du doigt et qualifiés de « terroristes » mais, loin de tout sens de la contradiction, les mêmes taurins menacent, ricanent à l’idée de lâcher les taureaux sur les manifestants, applaudissent aux coups de matraques des forces de l’ordre, voire invitent les manifestants à se mesurer physiquement à eux ! Pourquoi ces appels à la brutalité ? Et pourquoi la lutte contre la corrida doit elle toujours veiller à se réaliser dans l’action non-violente ?

Les taurins ont une vision particulière de leur propre culture : l’expression d’une passion minoritaire qu’ils souhaitent immobile face à l’évolution des moeurs et de la société, figée à jamais.

Cette culture tauromachique est, par essence même, centrée sur la violence. Elle cultive la violence (cultiver vient du latin « colare », signifiant tout à la fois cultiver ET honorer) par la promotion d’une vision de l’homme dominateur, empli de bravoure face au danger, prêt à mourir pour défendre ce qu’il pense être le sens de sa vie… On sait que ces valeurs sont biaisées et que le rapport de force pèse toujours en défaveur de l’animal, de l’autre, du plus faible et de l’exploité… C’est bien le propre de toutes les cultures et sociétés honorant force et violence que de soigneusement veiller à ce que le combat puisse toujours être inégal. Ce que d’ailleurs les taurins reconnaissent, notamment par la voix du philosophe Francis Wolff qui verrait en l’organisation d’un combat à armes égales entre le tueur de taureaux et sa victime désignée « la véritable barbarie » …

On le constate avec la statue érigée à la mémoire du matador Nimèno II, l’aficion est tout disposé à statufier et rendre un culte à ses héros. Cette culture entoure la violence, ses acteurs et leurs armes, d’un prestige choquant. Mais, justement, reconnaître à cette violence et ses auteurs un caractère prestigieux, c’est reconnaître que leurs valeurs sont illusoires : la définition étymologique du mot latin « praestigiosus » est « qui fait illusion » ! L’action présentée au coeur des arènes est illusoire, elle trompe celles et ceux qui cèdent à sa tentation. Et cette tentation de la violence, de la brutalité et du supplice inscrit les taurins dans un cercle véritablement vicieux : dès lors que le sang a été versé pour une cause (une prétendue cause) celle-ci devient désormais sacrée. Il faudra encore et encore continuer à manier l’épée et verser plus de sang pour que l’on ne puisse dire, à aucun moment, que les premières victimes (animales ou humaines) ont été tuées en vain !

Dans la tauromachie c’est la violence qui donne un caractère quasi sacré à la culture défendue par les aficionados, et non l’inverse.

En toute logique, pour les adeptes de cette pratique, abreuvés de cette culture, si la corrida – par sa violence – est sacrée (sinon elle ne serait pas défendable), ses opposants et leur non-violence deviennent un véritable sacrilège. L’anti-corrida mérite alors tous les anathèmes, les accusations, les insultes et les condamnations…

Déni, inversion des valeurs, manipulations du sens des mots, du vocabulaire et des notions, refus de prendre en compte les évolutions de la connaissance du vivant pour mieux s’enfermer dans une vision fantasmée de la culture, de la tradition, de l’homme et de l’animal : la culture tauromachique – qui est une culture de la violence – a un besoin impérieux de se doter d’une construction idéologique permettant à ses adeptes et promoteurs de justifier leurs actes ou du moins les actes de leurs héros. Elle créé notamment sa propre morale en oubliant volontairement que les principes éthiques, la morale, les valeurs peuvent et doivent dépasser les limites imposées par les cultures et les communautés, aussi fermées soient-elles. Emmanuel Levinas a écrit « La morale n’appartient pas à la culture : elle permet de la juger ».

Cette violence au centre de la corrida, dont elle se nourrit et qu’elle promeut tout à la fois doit toujours être mise en lumière, pour mieux être combattue. Il s’agit d’une violence faite à l’animal, on le sait, mais aussi d’une violence faite à l’homme, à l’enfance, à la société et une dangereuse perversion des valeurs.

C’est pour tout cela que l’abolition est non seulement souhaitable, mais inéluctable… Et que l’opposition à la corrida doit pour triompher rester la revendication d’une action non-violente, construite, argumentée et toujours déterminée face à une culture tauromachique dont la mort , la souffrance et le sang sont les fondements.

 

Francis Allouchery, secrétaire de la FLAC