Dans une présentation au ton triomphaliste devant les membres de l’association El Toro de Madrid, Rafael Garrido, patron des arènes de Las Ventas avec Simon Casas, laisse échapper plusieurs aveux peu reluisants sur la situation actuelle, tant de ces arènes proprement dites que de la dégringolade généralisée de la tauromachie en Espagne.
Entre autres, il déclare que :
- les ventes de ticket d’entrée sont largement insuffisantes si elles se limitent aux canaux habituels
- les novilladas sont lourdement déficitaires
- les corridas dites « de bienfaisance » ont en fait pour seul but de maximiser les profits
- la féria de San Isidro, événement tauromachique majeur de la ville de Madrid, devrait réduire le nombre de ses corridas de 20 %, alors que les corridas d’été devraient être deux fois moins nombreuses pour parvenir à limiter les pertes.
Voici quelques extraits particulièrement parlants.
Difficultés à vendre les billets d’entrée
« Las Ventas ne peut pas fonctionner avec seulement les ventes au guichet. Sans d’autres sources de revenus, ce serait intenable. Nous nous efforçons d’attirer des sponsors et des soutiens. Nous nous améliorons sur ce front, mais il reste encore beaucoup de travail à faire.«
Les corridas « de bienfaisance » comme source de profits futurs
« En ce qui concerne la Corrida de Bienfaisance et la Corrida de la Culture, avec la présence de figuras* et l’obsession des ventes à guichets fermés, nous avons perdu un million d’euros en deux jours. Ces événements aident à augmenter les abonnements, c’est pour cette raison que nous les organisons. Il s’agit d’un investissement nécessaire pour pouvoir faire des profits ailleurs. Nous nous sommes également tournés vers la publicité. Il y a de nombreuses années, Madrid n’était pas aussi envahie par les publicités. En outre, nous avons réduit de 10 % les billets de San Isidro et de 20 % les billets d’automne. Mais il faudrait faire beaucoup plus, parce que Las Ventas a beaucoup plus d’abonnés. Il y a du travail à faire. Cependant, il y a d’autres endroits qui sont dans une situation beaucoup plus difficile. Séville n’atteint pas 2 000 abonnés, ils en ont environ 1 900.«
* Les figuras sont les quelques toreros les plus connus et les mieux payés, jusqu’à 150 000 euros par prestation comme cela peut être le cas pour José Tomas.
Les toreros les mieux payés sont une source récurrente de déficit
« Les coûts doivent être repensés. Une corrida avec des figuras à Madrid nécessite la tenue de cinq ou six corridas à faible coût pour récupérer cet investissement. »
Opacité des contrats avec les toreros
« Les contrats avec des toreros qui ne sont pas des figuras sont signés en précisant que le montant de leur prestation est « à convenir ». Je pense que les intérêts croisés des entrepreneurs, des agents et des éleveurs se concentrent souvent entre les mains des mêmes personnes, ce n’est pas bon. »
Novilladas lourdement déficitaires
« Les novilladas sont difficiles à maintenir. Il y a des dépenses fixes, comme nos 450 employés, qui doivent être payés qu’il y ait 2400 ou 24 000 spectateurs. A chaque fois que nous ouvrons les portes, nous commençons à perdre 100 000 euros. Les ventes au guichet permettent de remonter, mais pas d’équilibrer les comptes, loin de là. À Madrid, nous perdons entre 70 000 et 100 000 euros par novillada.«
Nombre de corridas en baisse pour les principales férias de Madrid
« Je pense que la saison de Madrid devrait être plus courte. Peut-être que nous devrions réduire les fêtes de San Isidro (disons 24 corridas au lieu de 30) et réduire aussi en été (peut-être 4 corridas au lieu de 8). Je lance ces réflexions, il faudrait les affiner. Mais je pense que nous devons faire face à ces réalités. »
Les travaux de rénovation de Las Ventas
Garrido donne quelques précisions sur l’ampleur des travaux nécessaires pour mettre les arènes de Las Ventas aux normes.
« Nous ne comptons pas aller à l’encontre d’une étude technique indiquant la nécessité de revoir le bâtiment, une grande rénovation est nécessaire. Ces arènes ont besoin de cela. Les escaliers ont une largeur de 42 centimètres et la réglementation européenne sur les évacuations indique qu’il faut qu’ils fassent un mètre. Las Ventas est inconfortable, il y a vraiment besoin d’améliorer cela. Et, inutile de le dire, mettre le bâtiment aux normes permet d’éviter qu’il soit interdit.«
Voilà qui est clair. La seule raison pour Garrido et consorts de lancer la rénovation est d’éviter une interdiction. Sinon, cela ne leur viendrait pas à l’idée de dépenser un centime sur ces aspects.
Simon Casas tenu à l’écart ?
« On dit que Simon Casas n’est pas dans le callejon en raison de désaccords dans l’entreprise. Simon voit les corridas depuis son bureau. Quand José Luis Lozano et José Antonio Martínez Uranga font de même, cela ne soulève pas de spéculation. Seulement quand il s’agit de Simon.«
On ne le lui fait pas dire : c’est seulement quand il s’agit de Simon Casas que les gens trouvent ça bizarre qu’il reste dans son bureau pendant une corrida. Et pourtant :
« Simon Casas aime la corrida. Nous en plaisantons souvent en lui disant qu’il ne parle de rien d’autre. En outre, il est un homme très passionné et sincère. Il dit ce qu’il ressent.«
Simon Casas aime la corrida, cela ne fait pas de doute, mais il préfère y assister depuis son bureau ? Sérieusement ? Pour rassurer sur le fait qu’il n’y a pas l’ombre d’un problème entre Casas et Garrido, ce dernier se sent obligé de préciser un peu plus loin :
« Sur la stratégie d’entreprise, Simon et moi fonctionnons comme une horloge. Nous nous comprenons très bien. Le bilan de 2017 est très positif, mais nous voulons continuer à nous améliorer. «
Prosélytisme envers les jeunes
Parlant de Casas, Garrido précise :
« Son engagement envers les jeunes dans la corrida est très clair. Nous voulons que les gradins réservés aux jeunes se développent, afin d’aller beaucoup plus loin que les 600 abonnés actuels.«
Précisons que cela représente 2,5 % des 24 000 places de Las Ventas. Séduire le jeune public est plus que jamais une priorité pour les organisateurs de corridas qui voient les gradins se dépeupler, du fait du désintérêt croissant des citoyens espagnols pour cette pratique hors d’âge qu’est la corrida et du vieillissement de plus en plus avancé d’une large partie des aficionados restants. Si la jeunesse est logiquement leur seul espoir, c’est mal parti pour ces entrepreneurs de spectacles de torture : les jeunes sont justement la catégorie de la population espagnole qui se désintéresse le plus des corridas. Comme on les comprend.
Roger Lahana, secrétaire fédéral de la FLAC
Texte intégral de l’intervention de Rafael Garrido sur le site de La Economia del Toro (en espagnol)
Photo : Rafael Garrido et Simon Casas (crédit El Español)