Traumatisme de la corrida, pressions de la communauté pour forcer les personnalités les plus sensibles et critiques à emboîter le pas de l’aficion…
Voici le témoignage de Marina, native de Dax. Ses parents, comme beaucoup d’autres, trompés sur la nature réelle du spectacle auquel ils allaient assister, ont du subir en famille la terrible expérience d’une corrida (corrida portugaise en l’occurrence).
Marina, enfant au moment de ces faits, nous livre dans un témoignage chargé d’émotion ses souvenirs sur son expérience d’enfant et ensuite d’adolescente dans une ville qui se présente comme une place forte de la tauromachie en France :
« La corrida… Ce mot me hante depuis mon plus jeune âge, j’ai moi même assisté à une, lorsque j’était encore enfant..
À l époque l’information n’était pas la même et mes parents nous y ont amené ma sœur et moi, pensant assister à des courses telles que les Courses Landaises. Mais, à leur grand désarroi ce ne fut pas le cas… Et nous avons assisté impuissants à cette mise en scène d’un temps ancien… Sous une musique entraînante , les « olés » de la foule en délire, les paillettes, les cris de joies, les applaudissements , nous assistions béats à la persécution d’un taureau, pendant 20 longues minutes pris au piège dans l’arène .. Pris au piège tout comme nous…
Je me souviens , je devais avoir aux environs des 7 – 8 ans, mes parents m’éduquant dans la compassion et le respect de tout être vivant, avoir ressenti un grand malaise, beaucoup de peine et de tristesse, pour ce taureau qui se faisait transpercer et déchirer la chair, les muscles (organes pas pour lui car corrida portugaise mais pas moins cruelle) de toutes parts à l’arme blanche.. À chaque coup, je détournais mon regard, soit me servant du pilier situé non loin devant moi, soit l’orientant sur la foule se levant parfois pour faire une ola et criant « olé ! » de toute voix. À cet instant précis je me souviens être perdue. Cela me semblait en contradiction avec ce que m’apprenaient mes parents, et ma propre conscience et empathie, mais ayant une totale confiance en eux je me disais alors que peut être le taureaux ne souffrait pas. Et j’ ai donc essayé l’ instant de quelques minutes de prendre part à la fête et aux « olés » dans cette musique festive… Mais en vain, mon sourire s’effaçait quand une nouvelle fois le taureau reçu une banderille, le sang coulant sur son si beau corps tout en muscle, une belle robe noir tachée de sang… et son regard si expressif … Il était comme moi. Il nageait dans une incompréhension totale et subissait dans la douleur, la folie meurtrière des Hommes. Il était beau mon taureau, si imposant, mais si faible à la fois , ne pouvant que subir ses blessures, ne pouvant fuir contre ces tortionnaires…
Pourquoi ? Cette interrogation tournait dans ma tête et se multipliait .. . Je me souviens aussi avoir demandé à mes parents encore désarçonnés, à la fin de ce sordide spectacle, ce que le taureau devenait après…Ils esquivèrent la question balbutiant quelques mots et petits mensonges pour ne pas m’attrister d’avantage. Il s’agissait d’une corrida Portugaise : le taureau est achevé plus tard, contrairement à l’ Espagnole où l’ estocade est portée dans l’arène. J’ai donc évité le moment de la mise à mort par l’ épée …
Ce jour là, j’ai retenu mes larmes, car je suis fière et n’aime pas me montrer en peine. Mais ce jour là, restera gravé dans ma mémoire … Nous n’ avons plus jamais repris place dans une arène pour une corrida, nous étions tous sous le choc de ce que nous avions vu.
Puis, les années ce sont écoulées, ma sœur et moi avons dû pour ne pas être rejetée au moment de l’adolescence et certainement pour se protéger, occulter ce qui est omniprésent là bas : des tableaux gigantesques dédiés à cet »art » dans quasiment tous les magasins, les livres faisant l’éloge de la corrida, des discours dénués de sens et de compassion de professeurs et autres aficionados, faire les férias en se focalisant sur la fête et l’humeur ambiante , portant des t-shirts avec un taureau planté de banderilles, etc., détournant le regard et notre cœur des arènes en se sentant impuissantes.
Ah ! Nous avons bien essayé à l’époque de dire quelque chose. Mais les moqueries et le rejet sont de mises dans ce cas… Alors, nous ne disions plus rien malheureusement et nous gardions en nous notre profonde colère… Ce que je regrette du plus profond de mon être, car j’ai l’impression d’avoir cautionné ces spectacles abjects. Mais que faire ? Nous avions l’impression d’être seules contre tous… Trop jeunes et sans armes suffisantes sans doutes pour risquer de se dresser contre ces personnes.
On ne se rend pas compte de la pression psychologique que l’on subit dans ces villes lorsqu’on s’oppose aux corridas. Vous risquez même votre place dans certains métiers. Désormais des années ont passé , nous nous sommes fâché avec de nombreuses connaissances de notre enfance et nous avons quitté la région, ne supportant plus cette mentalité. Et ce dont je rêvais depuis petite est en train de se produire ; De plus en plus de monde prend conscience des réalités de la corrida, et s’élève contre cela. Des voix se font entendre, des manifestations s’organisent d’une ville à l’autre, et me voilà livrant mon propre vécu, espérant de tout mon coeur l’abolition rapide de cette mascarade macabre. »
Marina, native de Dax