LETTRE OUVERTE 

à 

Madame Claire CHAZAL, journal de TF1, 31 mars 2013, journal de 13h.00

Madame, le 31 mars 2013, vous avez présenté un reportage sur la ville de BEZIERS, avec notamment un sujet sur l’école locale de tauromachie.

Après plus de quarante années de recherches consacrées au développement, aux conduites et aux rythmes de l’enfant dans ses différents lieux de vie, je me sens concerné par les différentes formes de violence dont les enfants sont les victimes, les auteurs ou les instruments. Je suis donc choqué que vous ayez cautionné la partie du reportage sur la “formation” dans cette école d’enfants et d’adolescents à la pratique de la tauromachie. Si je me fonde sur la définition donnée par le Larousse, dictionnaire de la langue française, l’équipe de Tf1 a commis une imposture (définition donnée par le Larousse : “Action, procédé de quelqu’un qui cherche à tromper par de fausses apparences ou des affirmations mensongères, notamment en usurpant une qualité, un titre, une identité, ou en présentant une oeuvre pour ce qu’elle n’est pas”). En effet, pour illustrer la “formation” des jeunes apprentis toréadors (ou matadors) dont le projet est de devenir un professionnel de la mise à mort scénarisée de taureaux dans les arènes (… à moins que d’autres aient choisi pour eux), vous avez sélectionné des images en apparence ludiques, voire amusantes. Elles montrent en effet des personnes qui simulent les charges d’un taureau (une paire de cornes brandie en courant), et d’autres (ou les mêmes ?) qui s’exercent à porter des estocades fictives à un leurre ayant grossièrement la forme d’un taureau.

Ces images édulcorées travestissent la réalité (travestir est ainsi défini par le Larousse : “transformer la nature ou le caractère de quelque chose en le rendant méconnaissable ; falsifier,  déformer, trahir”).  En effet, si je me fonde sur les témoignages d’observateurs qui ont assisté à la “formation” des apprentis toréadors dans les écoles de tauromachie, on y apprend aux enfants et adolescents à manier le poignard, c’est-à- dire à maîtriser le maniement d’une arme, et “à se faire la main” sur des veaux ou des vachettes. En d’autres termes, on les engage dans un apprentissage dont la finalité est de tuer ? Sans compter qu’ils peuvent être contusionnés ou blessés plus ou moins gravement au cours des contacts et des “courses” avec des animaux évidemment stressés ou affolés par un environnement qui est loin de ressembler à une prairie tranquille, mais aussi par le poignard  d’un partenaire maladroit.

Peut-on accepter la valorisation par un média d’un lieu de “formation” labellisé école en travestissant une réalité dont la finalité est de “former” des enfants et des adolescents à être plus tard les acteurs d’un spectacle sanglant avec torture (les banderilles fichées dans le corps) et mise à mort d’un animal qui n’a pas d’autre choix que de mourir… à moins d’être gracié… pour sa “bravoure”… en supposant qu’il survive à ses blessures ?

Je ne comprends pas qu’un média commette une telle faute humaine qui heurte la conscience, même s’il est dans le domaine privé, alors que son devoir et sa responsabilité devant la nation devraient être de contribuer à l’éradication de toutes les formes de violence et de tous les processus qui peuvent conduire à la violence, que les victimes soient des humains ou des animaux, surtout dans une société que l’Histoire a investi de la défense des droits de l’Homme et du citoyen, et du respect des droits de l’enfant dont l’Etat français a signé la convention internationale en 1989 sous l’égide de l’ONU (la CIDE). Je n’ose faire l’hypothèse que, pour garantir l’audience de l’émission du 31 mars 2013, vous ayez pris vous-même la décision de travestir la “formation” réelle des apprentis en tauromachie, ou que vous l‘ayez acceptée sans essayer de vous opposer. Est-ce la pression des lobbies de la tauromachie qui  vous a conduit à “monter” ou cautionner une telle imposture ? Y aurait-il une seule raison qui permette de travestir la “formation” d’enfants et d’adolescents à tuer des animaux pour les “besoins” de la corrida, spectacle sanglant qui déshonore notre société et nous vaut l’opprobre de nombreuses nations, même si la tauromachie est également pratiquée dans d’autres pays ? Enfin, êtes-vous sûre que les enfants et adolescents auxquels “on” a appris à manier le poignard dans une école de tauromachie réserveront aux animaux leur “habileté” à blesser ou à tuer, et qu’ils ne la mettront pas en pratique pour tuer ou blesser un humain ?

Hubert Montagner, docteur ès-Sciences
Professeur des Universités en retraite
ancien Directeur de Recherche à l’INSERM
ancien Directeur de l’unité “Enfance inadaptée” de l’INSERM